Quels modèles pour les conventions fiscales ratifiées par les Etats africains ?
Sommaire
Résumé :
Le développement des échanges internationaux a conduit les Etats à mettre en place des règles pour définir les relations fiscales entre eux. Différentes instances ont concouru à la mise en place de modèles de convention fiscale pour faciliter la négociation des traités bilatéraux. Les pays exportateurs de capitaux présentant un excédent commercial se trouvent dans une situation de conquête de marchés nouveaux. Or, les pays importateurs de capitaux font face à un double défi. D’abord, le fait d’attiser les capitaux étrangers conduit à une séduction fiscale. Ensuite, les incitations fiscales où qu’elles puissent tirer leur source (droit interne-droit conventionnel) ne doivent annihiler la souveraineté fiscale des Etats. La conciliation de ces deux éléments est devenue une gageure pour les Etats en voie de développement. Au final, le choix du modèle de convention fiscale qui protège le plus les intérêts des pays en voie de développement est un impératif de premier rang à observer dans le cadre de la négociation des traités bilatéraux.
Contexte :
La notion de souveraineté fiscale s’apprécie comme une entité territoriale bénéficiant ou non de la souveraineté politique dès lors qu’elle dispose d’un système fiscal présentant deux caractéristiques : une autonomie technique et une exclusivité d’application dans le territoire en question. Le territoire représente le lieu d’exercice de la souveraineté. Dans deux arrêts, la CIJ évoque le territoire comme lieu d’exercice exclusif de la souveraineté. C’est ce qui a fait dire à Louis TROTABAS que : « le principe de la territorialité de la loi fiscale rend la loi exécutoire sur tout le territoire. Elle oblige ceux qui habitent le territoire et régit tous les biens, meubles et immeubles qui se trouvent sur ce territoire. Son application s’arrête donc à la frontière ».
La mise en œuvre de la souveraineté de l’Etat en matière fiscale par le législateur national, limitée ou encadrée par les dispositions juridiques d’ordre interne, l’est également, de plus en plus sensible et sans doute irréversible, par des dispositions de caractère supranational. L’Etat maître absolu de la création et de l’application de ses impôts peut de sa propre initiative, accepter des dérogations législatives ou conventionnelles, en particulier en vue d’éviter la double imposition. Le phénomène de la double ou multiple allégeance fiscale conséquence de la liberté reconnue aux Etats souverains ou aux territoires autonomes comporte de graves inconvénients aussi bien pour les contribuables que pour les autorités économique et financière. Dans la plupart des pays, les pouvoirs publics en ont pris conscience et ont progressivement admis l’opportunité d’y remédier. Le chevauchement des souverainetés a donc été l’élément catalyseur des conventions de double imposition. C’est en 1919 plus précisément que la Chambre de Commerce Internationale nouvellement créée dont le but est d’apporter une prospérité économique à un monde qui sort de la première guerre mondiale est la première à s’intéresser aux questions de double imposition.
Les représentants du commerce et de l’industrie des pays alliés prennent la résolution à Paris, en 1920, d’éviter qu’une personne ou qu’une société d’un pays ne soit soumise à plus d’une taxe sur un même revenu tenant compte que le pays auquel appartient cette personne ou cette société se réserve le droit d’exiger la différence d’impôt entre l’impôt payé dans un Etat tiers et l’impôt payé dans l’Etat de résidence. Les premières conventions fiscales avaient pour vocation de répartir non pas des biens imposables ou des revenus cédulaires entre les Etats contractants, mais des impôts que ces derniers étaient en droit de prélever selon les situations (c’est d’ailleurs la méthodologie retenue par le premier modèle de convention fiscale publié par la SDN en 1928). Rappelons toutefois qu’une convention fiscale ne peut pas aggraver la charge fiscale du contribuable. Selon Gilbert TIXIER : « une convention internationale contre la double imposition est comme un pont jeté entre deux systèmes fiscaux. Elle n’est pas elle-même un système fiscal complet ».
Vers les année 1940, deux groupes antagoniques ont fait face. Il s’agissait principalement des pays en voie de développement communément appelés pays importateurs de capitaux et des pays développés attributaires du titre de pays exportateurs de capitaux. Les premiers se sont regroupés autour du modèle de Mexico alors que le second groupe a mis en place le modèle de Londres. Ultérieurement, la réflexion sur les doubles impositions internationales devrait être reprise par l’OCDE. Celle-ci, prenant pour base les travaux de la SDN, et en les adaptant au nouveau contexte international, proposa à son tour, en 1963, un modèle de convention contre la double imposition en matière d’impôt sur le revenu et la fortune, révisé en 1977, puis en 1992, et faisant désormais l’objet d’une actualisation régulière. Des mises à jour du modèle ont été publiées en 1994, 1995, 1997, 2000, 2003, 2005, 2008, 2010, 2014 et 2017.
Après une longue période d’inactivité de l’ONU, la prise de conscience de la nécessité pour les pays en développement de conclure des conventions fiscales avec les pays développés a donné naissance, par résolution ECOSOC, à un « Groupe d’experts ». Le mandat de ce groupe a évolué progressivement pour inclure dans un premier temps la coopération en matière fiscale, en vue de combattre l’évasion fiscale. Dans un second temps, le groupe d’experts a été promu au rang de comité sous l’autorité directe du conseil économique et social. Cette évolution marque une augmentation progressive de l’importance des questions fiscales au sein de l’ONU. Outre l’assistance technique aux pays en développement, le comité fiscal de l’ONU est compétent, dans le cadre de son mandat, pour mettre à jour un modèle de convention fiscale de l’ONU ainsi que son manuel de négociation y afférent. Il peut en plus soumettre des recommandations et des observations et servir de forum international promouvant la coopération en matière fiscale. Il aura fallu attendre 1990 pour voir le premier modèle de convention fiscale sous la bannière de l’ONU dont la dernière révision date de 2011. Comme évoqué plus haut, le modèle de l’ONU intègre beaucoup plus les intérêts des pays en voie de développement.
Justification et enjeux
Pour les négociateurs, les modèles conventionnels n’emportent pas une obligation mais amènent une prescription. Sans avoir de caractère obligatoire, ils ont une autorité de chose pratiquée au cours des négociations. Certains Etats comme les Etats Unis ont depuis 1977 publié leur propre modèle de convention fiscale. Cette pratique singulière tend à mieux sauvegarder la souveraineté fiscale de l’Etat concerné.
Dans un monde extrêmement concurrentiel, la problématique des Etats est très largement partagée. Ils ont développé des dispositifs fiscaux les rendant attractifs mais aussi mis en place des moyens de lutte contre les transferts de bénéfices. Chacun a cherché à développer un arsenal juridique lui permettant de concilier ses engagements dans le cadre des conventions fiscales avec le souci de se rendre fiscalement attractif18. Dans une dynamique d’accroissement du réseau mondial de convention fiscale, les pays en voie de développement ou pays importateurs de capitaux doivent passer au crible le modèle de convention fiscale sauvegardant au mieux leurs intérêts.
Problématique
La problématique qui se dégage sera axée sur la question suivante : quel est le modèle de convention fiscale qui sauvegarde les intérêts des pays africains ? Autrement dit quelles sont les règles qui permettent au pouvoir d’imposition de garder sa splendeur malgré une dynamique d’élimination de la double imposition et de l’internationalisation des échanges. Une certaine frange de la doctrine avait très tôt émis des réserves quant à l’existence d’avantages sur l’application du droit conventionnel fiscal dans les pays en voie de développement. Dans sa thèse de doctorat Jean Pierre JARNEVIC19 affirmait que : « les conventions fiscales ne tournaient pas en faveur des pays en voie de développement ». Pour justifier son raisonnement, l’auteur avançait des arguments économiques. Selon lui, l’inégalité des échanges industriel et commercial ne joue qu’en faveur des pays exportateurs de capitaux.
Méthodologie
L’objet de l’analyse consistera à montrer les règles de droit conventionnel aptes à préserver les pouvoirs d’imposition des Etats africains. Une Etude de benchmarking des différentes conventions fiscales signées permettra de définir le modèle qui a jusqu’ici fait office de source d’inspiration.
Le critère de référence sera déterminé à partir des modèles classiques de convention fiscale que sont l’ONU et l’OCDE. Cela se justifie par le fait que la construction du droit fiscal international a été ficelée à travers ces deux textes. Considéré comme relativement récent, le modèle de l’ATAF s’identifie grandement au modèle de l’ONU. C’est pourquoi il ne sera pas nécessaire de faire la transition entre les deux textes.
Enfin, il s’agira dans une démarche empreinte d’originalité de montrer comment les Etats devraient être amenés à se départir de l’histoire des modèles et de pouvoir analyser et concocter le meilleur dans chaque texte.
Plan de travail
La réflexion sera articulée autour de trois grandes idées :
La référence conventionnelle ;
Les critères de rapprochement ;
L’évolution des critères.
I- La référence conventionnelle des Etats africains
La mise en place de politiques publiques capables de stimuler les IDE ont permis de ranger les pays africains dans le lot des pays importateurs de capitaux. Cette posture justifie de plein droit la volonté des Etats africains de sauvegarder au maximum leur pouvoir d’imposition. L’institution du modèle de l’ONU et celui de l’OCDE avaient conduit certains auteurs comme Jean Claude MARTINEZ à soutenir en 1963 : « les négociateurs des conventions fiscales bilatérales ont à leur disposition deux modèles de base : celui du nord et celui du sud ». Rappelons que le modèle de l’OCDE convient le mieux dans les relations entre pays « riches », tandis que le modèle de l’ONU répond au contexte des échanges « Nord-Sud ». En effet, le modèle de l’OCDE réduit ou élimine la double imposition en contraignant souvent l’Etat de la source du revenu à renoncer à une partie de ses impôts. En conséquence, il est beaucoup mieux adapté lorsque les Etats parties à la convention de double imposition ont un échange commercial réciproque. Cela se justifie d’autant plus qu’elle ne regroupe en son sein que les pays développés. Jusqu’au moment où ces lignes sont écrites aucun pays africain n’est membre de l’OCDE. Seul l’Afrique du Sud peut se prévaloir du statut d’observateur au même titre que la Chine, le Brésil, l’Inde et la Fédération Russe. Aucun défenseur des intérêts des pays en voie de développement n’est donc présent au sein de cette instance.
Cette marginalisation des intérêts des pays en voie de développement a perduré face à l’évolution grandissante de la fiscalité internationale. Le projet BEPS de l’OCDE a été ficelé en dehors de toute association des pays considérés comme importateurs de capitaux. L’Afrique du Sud est le seul pays du continent à avoir participé aux travaux du projet BEPS. Tous les autres pays y ont adhéré après que le texte de base soit institué.
Par ailleurs, un modèle de convention a également été adopté en 1971 par les pays d’Amérique latine, membre du groupe andin dont font partie la Bolivie, le Chili, la Colombie, l’Equateur, le Perou et le Venezuela. Ce modèle tient mieux compte des préoccupations de ces pays, notamment en accordant plus d’importance au pays de la source.
En 2009, les Etats africains ont mis sur pied une organisation à vocation continentale dont le but est d’améliorer les systèmes fiscaux des Etats africains. Au sein de cette instance, il a été sécrété un modèle de convention beaucoup plus conforme que les deux premiers aux intérêts des Etats Africains. L’idée de base est d’appréhender la matière imposable au lieu de la création de la valeur. Cette dernière se prouve à travers la localisation de l’activité imposable au sein d’un espace territoriale bien identifié. C’est la raison pour laquelle les organisations internationales (La Société des Nations d’abord, puis l’OECE, l’OCDE et l’ONU ensuite) ont toujours considéré que le droit d’imposer de l’Etat d’origine ne pouvait être légitime que pour autant que l’activité productive menée sur son territoire était physiquement identifiable. La satisfaction de ce critère de présence physique peut résulter de l’existence de facteurs de production humains ou matériels, ou des deux.
Certains critères ont permis de comparer les différents modèles de convention institués et de voir celui à même de satisfaire le mieux les intérêts des pays en voie de développement. Ainsi, le dispositif conventionnel favorable aux pays en voie de développement se fait sentir : d’abord par la facile présence de l’établissement stable ; ensuite, une imposition conséquente des revenus passifs et enfin, des gains en capital. L’importance de la détermination de l’Etablissement stable permet de convoquer le pouvoir d’imposition de l’Etat d’implantation dans le cadre des revenus actifs.
II- Les critères de rapprochement
Pour déceler le modèle de référence, il faudrait analyser et mettre en place un échantillonnage. Dans l’analyse effectuée, le Sénégal occupe une place de choix pour les nombreuses conventions fiscales signées. Il faut reconnaître l’étroitesse du réseau conventionnel des Etats africains. En 2022, le réseau conventionnel béninois ne comportait que trois instruments il en est de même pour le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Le Congo relève la barre avec six conventions fiscales signées. Le Togo ne manque pas d’attirer l’attention avec une seule convention fiscale signée avec l’ancienne métropole. Le Mali et le Sénégal font exception avec un réseau de conventions fiscales plus ou moins large pour susciter les investissements étrangers. Le Schéma montré présente la France comme un partenaire stratégique. En réalité, après avoir consenti à l’indépendance des anciennes colonies, elle s’est positionnée comme un partenaire commercial privilégié.
Dans les développements plus haut, il a été évoqué un certain nombre de critère qui permettaient de distinguer les différents modèles institués. Parmi ceux-ci, l’établissement stable regorge d’une grande importance. Il permet d’appréhender les revenus actifs suite à la présence d’une base fixe dans l’Etat de la source. Le cas de la qualification d’un chantier de construction comme un établissement stable a toujours été évoqué pour différencier les différents modèles. Dans le modèle de l’OCDE, un chantier de construction est considéré comme un établissement stable que si sa durée excède 12 mois alors qu’elle est de 6mois pour le modèle de l’ONU. Du côté de l’ATAF, le choix est laissé à la libre appréciation des parties au traité.
Sur ce point précis, le Sénégal s’est plus ou moins inspiré du modèle de l’ONU. En effet, les conventions signées avec la Belgique, l’Italie, le Maroc, l’Angleterre et récemment avec le Luxembourg les recommandations du modèle l’ONU ont été particulièrement suivies. La démarche retenue avec d’autres pays montre que la position du Sénégal est particulière. Dans les conventions signées avec la Norvège, le Qatar et la Tunisie, le chantier de construction est assimilable à un établissement stable si la durée dépasse trois mois. Dans celle signée avec la Mauritanie aucune durée n’est prévue, c’est donc dire que le revenu actif pourrait être appréhendé par le pouvoir fiscal dès la présence d’un chantier.
Par ailleurs, les conventions signées avec l’ancienne métropole ne font pas référence à un délai. Une grande similitude a été notée avec la situation antérieurement décrite entre le Sénégal et la Mauritanie. Dans d’autres traités bilatéraux, le modus operandi se rapproche du modèle de l’ONU. Il s’agit de la convention fiscale signée entre le Bénin et la Norvège. On remarque également la même situation entre le Mali et la Russie. Une distinction est également notée entre le modèle de l’ONU celui de l’OCDE à propos de la notion d’établissement stable de services. Selon le modèle de l’ONU, une entreprise dispose d’un établissement stable si elle fournit des services pendant une période d’au moins cent quatre-vingt-trois (183) jours. Le modèle de l’OCDE fait référence à la base fixe pour qualifier un établissement Stable. Dans la convention fiscale signée entre le Sénégal et le Luxembourg, les activités de consultation intellectuelle sont constitutives d’établissement stable si leur durée dépasse six mois.
Le point b de l’article 5 du modèle de l’ATAF fait mention des services fournis par une entreprise sans la présence d’une base fixe. Toutefois, à l’image du chantier de construction aucun délai n’est fixé. Les Etats désireux de conclure le traité bilatéral ont la libre appréciation du délai. Le point d du même article relève qu’une structure d’exploration de ressources naturelles peut dans certains cas être considérée comme un établissement stable. A notre sens, ce serait une véritable gageure de voir un tel dispositif dans le domaine minier ou pétrolier. En effet, la phase de recherche et développement est une période d’exonération totale d’impôt. Rappelons toutefois qu’au Sénégal, une loi de finances rectificative pour l’année 2019 a institué la perception de l’IS sur la plus-value réalisée en cas de vente de titres miniers d’hydrocarbure. Cela est intervenu à la suite d’un supposé scandale perpétré par la société Timis corporation en complicité avec les services de l’Etat.
L’imposition des revenus passifs permet également de distinguer les différents modèles de convention fiscale. Rappelons que l’un des objectifs phares du modèle de l’OCDE est de rendre nul le pouvoir d’imposition de l’Etat de la source en ce qui concerne les revenus passifs. Les revenus passifs représentent la distribution des profits entre différentes personnes ayant investi dans l’activité d’une personne morale. Leur paiement vient donc rémunérer une prestation de service rendue par ces investisseurs qui consiste en la mise à disposition de sommes d’argent (intérêts), en un investissement en capital (dividendes), ou en une mise à disposition d’un droit de propriété intellectuelle ou d’un savoir-faire (redevances). Le modèle de l’ATAF ainsi que le modèle de l’ONU laissent aux Etats le choix de fixer le taux d’impôt applicable aux revenus passifs. L’accent sera donc mis sur les deux modèles de convention classique pour apprécier la prise en charge des revenus passifs. Rappelons qu’à propos des revenus passifs, le droit d’imposition est selon les cas partagé entre l’Etat de source et l’Etat de résidence (méthode de l’imputation) ou attribué à titre exclusif à l’un d’eux (méthode de l’exonération).
Les modèles révélés ont toutefois en commun l’adoption du principe de la destination dans le cadre de l’imposition des revenus passifs. Les trois modèles de convention cités apportent une précision importante également à l’article 10 dans le cadre de l’imposition des dividendes. En effet, il est pris acte que le régime d’imposition des dividendes au sens de la convention n’affecte pas les bénéfices de l’entreprise. Cela signifie que l’Etat de la source des dividendes reste souverain dans la détermination du bénéfice imposable à travers le droit interne.
D’une manière générale, les conventions signées octroient un pouvoir d’imposition à l’Etat de la Source des revenus passifs. Toutefois, l’application n’est pas uniforme. Si nous prenons le cas de l’ancienne métropole, la convention fiscale avec le Sénégal prévoit une retenue à la source de l’ordre de 15% sur les dividendes, les intérêts et les redevances. Dans celle signée avec le Mali, les redevances sont exclusivement imposées dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Ces deux conventions méritent une attention particulière en ce qui concerne le traitement des dividendes. En réalité le fait de disposer d’un ou de plusieurs établissements stables dans un Etat conduit en fin d’exercice à une remontée de bénéfices vers la société de rattachement. Une disposition spécifique permet aux deux Etats contractants de se partager le bénéfice après impôt du groupe de société. Cela permet à l’Etat d’implantation des Etablissements stables de recouvrer une partie du revenu fiscal perdu au titre de l’IRVM du fait de l’absence de personnalité juridique de l’établissement stable.
Les revenus passifs ont de tout temps justifié la disproportion des échanges entre pays importateurs de capitaux et pays exportateurs de capitaux. Toutefois, certains Etats ont quand même tant bien que mal essayé de sauvegarder leur souveraineté fiscale. Dans la convention fiscale avec la Norvège, le Bénin est allé au-delà des prescriptions du modèle de l’OCDE. L’imposition des dividendes est fixée à un taux de 18% et un plafond de 25% pour les intérêts. Les redevances par contre sont imposables dans l’Etat de résidence du bénéficiaire. Par le fait de consentir à l’imposition de l’entièreté du revenu issu d’un droit de propriété intellectuelle ou industrielle à l’Etat de résidence du bénéficiaire, l’Etat de la source a eu comme objectif de se conformer au modèle de l’OCDE au moment de la conclusion de la convention. Enfin, le traitement des revenus passifs a engendré une situation inédite au Sénégal à travers la convention signée avec l’Ile Maurice. Le Sénégal avait totalement renoncé à imposer les revenus passifs qui tiraient leur source sur le territoire sénégalais. Cette situation a exalté la pratique du treaty-shopping par une frange importante des sociétés minières. Ce mauvais choix a eu des conséquences pernicieuses au plan budgétaire.
Les gains en capital constituent également un critère de distinction des modèles de convention fiscale. Selon l’article 13.5 du modèle de convention fiscale de l’OCDE, les plus-values provenant de l’aliénation de valeurs mobilières sont en principe imposables dans l’Etat dont le cédant est résident. Le modèle de l’OCDE conduit donc à ce que la plus-value réalisée par une société étrangère qui détient des titres d’une société africaine ne soit pas imposée dans cet Etat africain alors même que le sous-jacent économique est situé en Afrique. L’article 13.5 du modèle de l’ONU relève d’une autre conception. Il permet à l’Etat d’implantation de la société dont les titres sont cédés d’imposer la plus-value si le cédant a détenu à un moment quelconque au cours des 12 mois précédant la cession, un certain pourcentage du capital de la société dont les titres sont cédés.
III- L’évolution des critères
La situation qui a prévalu au sein de la communauté internationale a conduit à une certaine remise en cause des principes de la fiscalité internationale. Si le modèle de l’ONU et celui de l’OCDE ont servi de trame de référence pour les conventions fiscales négociées, d’autres pays ont pris le contrepied de cette démarche. A l’image des Etats Unis, un modèle de convention fiscale a été élaboré au plan interne pour servir de base aux traités bilatéraux. Le modèle américain a été publié le 15 mai 1977. La singularité de leur pratique conventionnelle a été également notée dans le traitement fiscal de l’établissement stable. Le bénéfice après impôt de l’établissement stable subit les assauts du pouvoir fiscal américain. La Branch tax est le corollaire de l’IRVM applicable au bénéfice après impôt de l’établissement stable. Ce système prévoit une imposition à la source de 30% sur la distribution de revenus des succursales de sociétés étrangères, calculée sur un montant qui serait l’équivalent d’un dividende s’il s’agissait d’une filiale qui en distribuait un. Elle a pour effet de traiter la succursale comme si elle était une société américaine. Par ailleurs, la lutte contre le transfèrement des capitaux a conduit à la mise en place dans les différents systèmes fiscaux, la présomption de distribution de bénéfices. Malheureusement, le droit conventionnel obère les dispositions en ce sens.Dès l’instant où l’établissement stable était cantonné à la fixité, l’interprétation du juge ou de la doctrine a conduit à l’adjonction d’un troisième critère pour déterminer la notion d’établissement stable. Il s’agit donc maintenant de l’installation fixe d’affaires, de l’agent dépendant et de la notion de cycle complet d’opération commerciale. Pour les activités purement commerciales, il y’a un cycle complet d’opérations commerciales en un lieu lorsqu’en ce lieu sont effectués l’achat et la revente du bien en cause. Il peut aussi s’agir d’opérations d’extraction, de transformation, de lotissement, de prestation de services ou même d’opérations financières. Au Sénégal, la doctrine administrative fiscale s’est également penchée sur la notion de cycle complet d’opérations commerciales. En effet, il s’agissait d’une entreprise étrangère qui n’avait pas d’installation au Sénégal au sens matériel du terme mais qui était présente dans les locaux d’une entreprise locale pour la bonne exécution d’un logiciel de gestion. La DGID avait jugé que l’entreprise en question devait au regard de cette opération procéder à la déclaration de l’IS au cours de la période concernée.
Cette démarche prétorienne consolidée par la doctrine administrative montre que les modèles de convention fiscale sont loin d’être des textes parfaits. Les Pays importateurs de capitaux gagneraient à bien analyser les aspects socio-économiques avant de conclure des conventions fiscales. Au-delà de toutes les velléités de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales de caractère international, l’application des conventions fiscales requiert l’intervention de fiscalistes chevronnés.
Sous un autre chapitre, l’ampleur de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a conduit la communauté internationale à un consensus vers une norme de référence en matière d’échange d’informations. L’instance de base qui a permis aux Etats de se regrouper autour de cet objectif commun est le forum mondial. Rappelons que l’un des objectifs majeurs du Forum est de placer toutes les juridictions sur un pied d’égalité. Après une adhésion massive des pays émergents, un nombre important de pays d’Afrique a été récemment accueilli au Forum notamment : Maroc, Tunisie, Gabon, Sénégal, Côte d’Ivoire. Instance mandatée par le G20, le Forum s’est fixé comme objectif d’évaluer régulièrement les différentes législations nationales, examine si celles-ci respectent les standards internationaux et, quand c’est nécessaire, propose des recommandations et améliorations. Sur cette base, quatre listes de juridiction ont été établies : les juridictions conformes, conformes pour l’essentiel, partiellement conformes et non conformes. Au final, le Forum a fini par dégager un standard internationalement reconnu en matière d’échange de renseignement et qui concerne l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE. Il requiert :
- l’échange d’information sur demande qui est vraisemblablement pertinent pour l’administration et pour l’application de la législation interne du partenaire ;
- la disponibilité d’informations fiables et la possibilité de les obtenir ;
- le respect des droits du contribuable ;
- la stricte confidentialité des informations échangées.
Au regard des dernières évolutions de la fiscalité internationale, le modèle qui semble être à le plus à même de guider les Etats est celui de l’OCDE. C’est à travers cette instance que le projet BEPS a émergé. Rappelons que l’action 15 du projet BEPS est le fondement de l’instrument multilatéral. Une frange importante a adhéré à ce projet d’envergure mondiale de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
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Auteur : Mohamed Nagib DIOP
Titulaire d’un diplôme de 3 cycle en Fiscalité
Manager du Cabinet de conseils et d’études « Investment Advice SARL »
Enseignant chercheur Université Iba Der THIAM de Thiès-Sénégal
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