Sommaire
Introduction
Selon Pierre LEVINE : « le paradoxe de l’évasion et de la fraude fiscale de caractère international est que ce phénomène qui est au centre des préoccupations, tant sur le plan interne que sur le plan international demeure un phénomène récent et méconnu. Ce paradoxe explique au reste les balbutiements de la lutte contre l’évasion fiscale de caractère international »[1]. Ces considérations appellent à la distinction entre les notions voisines que sont la fraude et l’évasion fiscales.
L’évasion fiscale est très complexe à définir. Elle relève de l’optimisation et de la fraude. Selon le conseil des prélèvements obligatoires, il s’agit de l’ensemble des comportements du contribuable qui vise à réduire le montant des prélèvements dont il doit normalement s’acquitter. S’il a recours à des moyens légaux, l’évasion entre alors dans la catégorie de l’optimisation. A l’inverse, si elle s’appuie sur des techniques illégales ou dissimule la portée véritable de ses acteurs, l’évasion s’apparente à des fraudes[2].
A partir du moment où, le contribuable cherche à emprunter les voies de la minimisation de sa charge fiscale, les pouvoirs publics se sont investis pour protéger leurs ressources fiscales. De nos jours, les travaux internationaux se déroulent, pour une part importante dans le cadre du forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignement à des fins fiscales vaste enceinte multilatérale créée en 2001 et qui rassemble maintenant plus d’une centaines d’Etats membres[3]. Toutes ces actions menées visent à prévenir la fraude fiscale dans les différents échanges internationaux ou contrats internationaux.
Les contrats internationaux sont considérés comme ceux ayant un élément d’extranéité c’est-à-dire qu’au moins un de leurs éléments les liant avec des ordres juridiques étrangers. L’élément d’extranéité peut venir des lieux où les contractants sont situés. Pour les premiers, l’élément d’extranéité peux venir des lieux ou le contrat a été préparé ou conclu, du ou des lieux où doivent être réalisées les prestations contractuelles et si l’on peut distinguer des précédents des précédents du lieu de situation de la chose meuble ou immeuble sur laquelle porte le contrat. Il peut même s’agir des rapports qu’entretiennent le contrat avec un ou un autre contrat lui-même doté d’extranéité[4].
La prévention de la fraude fiscale s’appréhende autour des différentes les actions menées par les pouvoirs publics ou à travers les instances internationaux pour endiguer les velléités de dissimulation de la base imposable par le contribuable.
La problématique qui se pose dès lors est de savoir quels sont les canaux de prévention de la fraude fiscale dans les contrats internationaux ?
Répondre à cette question peut être une véritable gageure. Les contrats internationaux ne se sont pas fixés comme objectif de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscales de caractère international. Les diverses clauses qui les composent s’articulent autour : de la force majeure dans les contrats de construction, la limitation des risques en cas de retard ou de livraison d’un bien non conforme dans les contrats de vente, l’aménagement contractuel de la responsabilité, les clauses relatives au changement de circonstances dans les contrats à long terme, les clauses de best efforts et enfin les Warranties & representations-matérial adverse change[5].
Partant de ce postulat, la prévention de la fraude fiscale dans les contrats internationaux devrait trouver son fondement soit dans le droit interne soit dans le droit conventionnel. En prenant comme référence le droit interne, l’article 679 de la loi 2012-31 du 31 Décembre 2012 portant code général des impôts énumère les comportements synonymes de fraude fiscale. Il s’agit entre autres de la soustraction frauduleuse totale ou partielle d’un impôt, responsable d’un déficit constaté au cours d’un transport qui résulterait d’une mise à la consommation frauduleuse, détourne des impôts, droits, taxes redevances ainsi que les intérêts, amendes et pénalités dus, quiconque en vue de bénéficier d’un remboursement d’impôts de quelque nature que ce soit, quiconque organise ou aggrave frauduleusement son insolvabilité en vue de faire échapper à l’impôt tout ou partie de ses biens, par l’augmentation de son passif, la diminution de son actif ou la dissimulation de tout ou partie de ses biens.
Au plan international, les critères permettant de soupçonner une fraude fiscale sont l’utilisation de sociétés écrans, la réalisation d’opérations financières par des sociétés dans lesquelles sont intervenus des changements statutaires fréquents non justifiés par la situation économique de l’entreprise, le recours à l’interposition de personnes physiques n’intervenant qu’en apparence pour le compte de sociétés ou de particuliers impliqués dans des opérations financières, la réalisation d’opérations financières inhérentes au regard des activités habituelles de l’entreprise ou d’opérations suspectes dans les secteurs sensibles à la fraude de la TVA etc[6].
Si l’assistance administrative est considérée comme le pivot de la lutte contre la fraude fiscale dans le dispositif conventionnel. Rappelons que certains articles ont un dispositif de lutte contre les abus. Il peut s’agir de la définition du critère de la résidence, de l’établissement stable, des entreprises associées et de la notion de bénéficiaire effectif etc.
Nous étudierons tour à tour la prévention de la fraude fiscale dans les contrats internationaux par les mécanismes de droit interne I et la prévention de la fraude fiscale dans les contrats internationaux par les mécanismes du droit conventionnel II
I – La prévention de la fraude fiscale dans les contrats internationaux en l’absence de droit conventionnel
Paul TAYLOR parlant de groupage des attributs étatiques de la souveraineté dont une part serait confié à l’exercice collectif par l’union et le commissaire européen Mario MONTI déclarait des 1998 qu’on ne peut pas construire une économie de marché sans un minimum de coordination fiscale[7]. Les échanges commerciaux conduisent forcément à une synchronisation des actions des différentes administrations. Cela passe par les contrôles fiscaux simultanés (A) et les contrôles fiscaux à l’étranger (B).
A – Les contrôles fiscaux simultanés
Le contrôle fiscal simultané est un contrôle entrepris en vertu d’un accord par lequel deux ou plusieurs Etats conviennent de contrôler simultanément et de manière indépendante, chacun sur son territoire, la situation fiscale d’un ou de plusieurs contribuables. Aux termes de l’article 579 du Code Général des Impôts[8], l’administration fiscale peut convenir avec les administrations des autres Etats contractants de procéder à des contrôles simultanés, chacune sur le territoire de l’Etat dont elle relève, en vue d’échanger les renseignements ainsi obtenus. Il porte sur des contribuables présentant pour les Etats qui s’y engagent un intérêt commun ou complémentaire en vue d’échanger les renseignements ainsi obtenus.
Le contrôle simultané est mis en œuvre en matière d’impôts directs, lorsque la situation d’un ou de plusieurs contribuables présente un intérêt commun ou complémentaire pour un ou plusieurs Etats ayant conclu avec le Sénégal une convention. Les contrôles fiscaux simultanés contribuent à mettre en lumière la manipulation ou l’abus des lois et procédures en vigueur dans chaque pays[9].
Ce mécanisme permet également aux administrations fiscales de vérifier simultanément plusieurs entités de groupes multinationaux, par exemple pour vérifier leur politique de prix de transfert. Son intérêt réside bien entendu dans son caractère simultané en ce qu’il permet de mettre plus facilement en évidence les éventuelles irrégularités fiscales commises (volontairement ou non) par ces groupes. C’est ainsi que cette forme de contrôle fiscal a pu être qualifié d’« extrêmement dangereuse[10] pour le système cardiaque du président de la société vérifiée»[11]. Dans la même vaine, KALLERGIS affirme que : « ce mécanisme présente un intérêt particulier dans le cas des entreprises associées et de manière plus générale pour des opérations économiques dont les différents fragments, réalisés sur des territoires différents, présentent une unité[12] ».
Grâce à ces échanges de renseignements rapides et efficaces, le fisc peut cerner au mieux la situation économique d’un contribuable. Les contrôles fiscaux simultanés sont donc une autre forme d’assistance mutuelle, qui vise principalement les grandes questions qui se posent en matière d’échanges internationaux. En sus des échanges intra-groupes, ils peuvent aussi porter sur des sociétés indépendantes, mais unies par une communauté d’intérêt susceptible de générer une fraude au détriment des Etats dans lesquels elles sont installées[13]. Sous un autre angle, les contrôles fiscaux simultanés sont considérés comme un préalable à l’assistance administrative. Le travail de collaboration effectué par les administrations fiscales permet de dégager des renseignements utiles à l’amorce de l’assistance administrative. Ainsi, les demandes de renseignement sont élaborés dans les détails et facilite de travail de l’administration de l’Etat requis[14].
Au sein de l’espace UEMOA, le règlement de 2008 fixant les règles de prévention de la double imposition prévoit le mécanisme d’un contrôle fiscal simultané. En effet le point 6 de l’article 33 dispose que : « les administrations fiscales des Etats membres peuvent également s’entendre, pour instituer une procédure de vérification conjointe, entre deux ou plusieurs Etats membres, lorsque certains contribuables installés dans chacun des Etats intéressés présentent dans leurs opérations des comptes de liaison entre succursales ou filiales.
Elles en informent la commission. »
Cet article permet aux Etats membres d’appréhender les opérations des groupes multinationaux installés dans divers Etats membres de l’UEMOA. Parmi les traités bilatéraux signés par le Sénégal, la convention fiscale sénégalo-mauritanienne[15] régit ce mécanisme aux termes de l’article 29-4 : « Les administrations fiscales des Etats contractant peuvent s’entendre également pour instituer une procédure de vérification conjointe, lorsque certains contribuables installés dans les deux Etats présentent dans leurs opérations des comptes de liaison entre succursales ou filiales ». Toutefois, nous ne manquerons de souligner la rareté de cette clause dans les conventions signées par l’Etat du Sénégal. Le droit interne sauve la face dans la mesure où il régit également ces procédés spécifiques de contrôle fiscal.
Dans la pratique, la procédure est menée conformément à la législation de chaque Etat contractant. Ainsi, les contrôleurs procédant à des contrôles fiscaux simultanés sont chargés d’effectuer les contrôles fiscaux simultanés conformément aux plans d’intervention élaboré par le chef d’équipe (c’est-à-dire le représentant désigné), notamment identifier, rassembler et analyser les renseignements pertinents, questionner les contribuables et leurs représentants, établir le procès-verbal des réunions et participer à la préparation du rapport final. Il s’agit d’une procédure qui se déroule en dix (10) étapes :
- la sélection initiale des affaires ;
- la décision d’entreprendre le contrôle ;
- contrôle préliminaire ;
- contact avec les contribuables ;
- réunion de programmation initiale ;
- rencontre et entretien avec les contribuables ;
- contrôle approfondi;
- achèvement du contrôle ;
- préparation du rapport final ;
- mise en œuvre des améliorations recommandées[16];
Le mérite de ce mécanisme a été reconnu à plus d’un titre. Pour Alexandre LAUMONIER : « l’usage de ce procédé endigue toute possibilité de double imposition. Comme il a été évoqué un peu plus haut il appartient aux administrations fiscales avant de clôturer les travaux d’analyser en vue de supprimer une quelconque double imposition »[17]. Les agents du fisc peuvent également se rendre à l’étranger pour l’exercice du droit de communication.
B – Les contrôles fiscaux à l’étranger
Cette forme de coopération implique une logistique particulière. En effet, elle nécessite de disposer d’agents capables de se rendre sur place et de pouvoir communiquer dans la langue de l’Etat d’accueil et spécialement formés à cet effet. Il en découle que le contrôle fiscal à l’étranger ne peut être mis en œuvre que de façon restrictive. L’étape la plus importante est celle consistant à obtenir l’autorisation de l’Etat requis pour la participation d’un Agent étranger. L’Etat requis fournis des informations relatives à un contribuable de l’autre Etat. Sur la base de ces renseignements, l’Etat requérant décide ou non d’effectuer une demande d’autorisation de participer au contrôle fiscal. Lorsque l’Etat requérant le décide, l’Etat requis est alors en droit d’accepter ou de refuser cette demande. En cas d’acceptation, l’Etat requis indique à l’Etat requérant le calendrier du contrôle fiscal et les procédures utilisées[18].
Toutefois, on n’ignore pas que dans certains Etats, la présence d’un représentant de l’autorité fiscale étrangère peut être considérée comme une atteinte à la souveraineté ou contraire à la politique ou aux procédures qui découlent du droit national. Il n’ignore pas non plus qu’il existe même des Etats où le contribuable peut s’opposer à une telle présence, ou que ladite présence peut être admise sous certaines conditions. Ainsi, en matière de contrôle fiscal à l’étranger, les accords internationaux offrent aux parties contractantes une possibilité[19]. Pour le Docteur El Hadji Dialigué BA, le contrôle fiscal à l’étranger constitue un frein orchestré contre la souveraineté fiscale des Etats, en ce qu’il autorise les agents d’une administration étrangère d’avoir directement accès à la comptabilité d’une entreprise ne relevant pas de leur compétence[20].
Dans ce sillage, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure l’intervention de l’agent étranger sur le territoire étatique constitue une dérogation à la règle de « stricte territorialité » des règles fiscales internes. Si cette intervention peut avoir comme but la réalisation du droit fiscal étranger, la procédure dans l’étendue de l’Etat territorial sera sans doute régie par les règles et garanties procédurales mises en place par l’Etat territorial[21].
Les collaborations administratives en matière fiscale peuvent mettre en péril les droits et garanties des contribuables, surtout pour ce qui concerne le secret professionnel. Mais, s’ils sont bien menés, les contrôles conjoints seraient particulièrement efficaces, dans la mesure où, l’administration qui se déplace dispose de la presque totalité des renseignements relatifs à un contribuable. Ainsi, les limites de l’échange de renseignement par voie épistolaire se trouveraient neutralisées. En effet, il peut parfois s’avérer utile de se rendre dans un pays étranger pour y recueillir des renseignements relatifs à une affaire donnée[22].
Toutefois, lorsque le pays qui accueille les agents des impôts étrangers, autorise seulement l’observation de certaines étapes du contrôle, ou prendre contact uniquement avec les agents du pays requis, on parle de contrôle fiscal à l’étranger passif. Dans la forme passive les fonctionnaires « visiteurs » sont sous le strict contrôle de leurs collègues « domiciliés », et ils ne sont pas autorisés à s’entretenir librement avec les contribuables ou d’autres personnes intéressées. Ils ne peuvent participer activement à un contrôle sur le territoire étranger. Au contraire, si l’Etat requis permet aux fonctionnaires des impôts étrangers de mener des entretiens et d’examiner des documents concernant les contribuables en question, on parle de la forme active du contrôle fiscal à l’étranger. Pour Ramazan KILIC, de tels contrôles fiscaux sont utiles lorsque la loi permet au contribuable de conserver des documents comptables dans un pays étranger et qu’il accepte que le fonctionnaire se rende dans le pays étranger plutôt que de lui fournir les livres et enregistrements comptables dans son pays de résidence[23].
Cette démarche innovante dans les procédures fiscales consolide l’extraterritorialité du droit de communication. Les agents en mission à l’étranger acquièrent une vision pratique des difficultés qui surgissent sur le terrain, et l’assistance administrative est plus rapide. Ils sont considérés comme des exécutants qui ne prennent pas des décisions autonomes, et qui s’en remettent à l’autorité hiérarchique de leur administration fiscale d’origine. Ainsi, les activités menées bien qu’elles soient « nomades » en apparence, sont très encadrées. Tous les actes sont soumis au strict respect de la législation du pays concerné[24].
En dehors de missions de contrôle ponctuel, certains Etats comme la France ont mis en place la notion d’attachés fiscaux. Ce vocable permet de prolonger la durée de représentation à l’étranger. Si les attachés fiscaux sont des interlocuteurs directs en représentant directement l’administration fiscale d’origine auprès de l’administration fiscale d’accueil et des contribuables à l’étranger, néanmoins cela n’est que le prolongement des conventions fiscales internationales[25]. Les attachés fiscaux sont surtout présents dans les pays entretenant avec la France de vastes échanges au plan commercial[26].
II – La prévention de la fraude fiscale dans les contrats internationaux par le droit conventionnel
La lutte contre la fraude fiscale est l’un des objectif de premier rang des conventions fiscales. Comme évoqué un peu plus haut, le droit conventionnel dispose d’une batterie de mesures pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales de caractère internationale. L’assistance administrative est généralement un procédé que les administrations activent à postériori de la déclaration faîte par le contribuable. C’est sans doute pour cette raison qu’il est judicieux de se focaliser sur les critères qui permettent de déjouer les velléités de fraude. Il s’agit du treaty-shopping (A) et de la notion de bénéficiaire effectif (B).
- La notion de bénéficiaire effectif
Il ne fait point de doute que les conventions fiscales sont pour les résidents des outils leur permettant de jouir d’un certain nombre d’avantages. Cette situation conduit à vouloir jauger du caractère large ou étroit du réseau conventionnel d’un Etat ou d’un autre. La notion de domicile fiscal est donc fondamentale en matière fiscale[27]. L’article 1er du modèle de convention fiscale précise que : « la convention s’applique aux résidents d’un des Etats contractant ou aux résidents des deux Etats contractant ».
La notion de résidence est donc fondamentale. Elle a presque complétement éclipsé le concept concurrent de la nationalité sur lequel reposait le champ d’application des conventions les plus anciennes (exemple : convention franco-américaine de 1932). La nationalité ne joue plus qu’un rôle secondaire : on ne la retrouve guère que dans les articles se rapportant aux rémunérations et pensions publiques ou dans les clauses dites d’égalité de traitement ou de non-discrimination entre nationaux et étrangers[28].
Pour Jérôme Nirmal THOMAS : « cette formule utilisée par les conventions fiscales se borne tout simplement à préciser que ces dispositions s’appliquent aux seuls résidents sans pour autant préciser à qui incombe la charge de la preuve de la qualité de résident ». Une distinction doit être ici faite : alors que les contribuables doivent apporter la preuve de leur propre qualité de résident, la situation est toutefois différente lorsque la preuve à apporter concerne la résidence d’un tiers. Ce dernier point a en effet été tranché par les juges du palais royal dans l’important arrêt « Diebold »[29] à travers lequel ils censurent, pour erreur de droit, la décision de la Cour administrative d’appel[30] de Paris de faire peser cette charge de la preuve à l’encontre de l’administration fiscale. Cela ne signifie pas pour autant que la charge de la preuve pèse sur les contribuables : le Conseil d’Etat a décidé qu’il appartient au juge d’apprécier ce point au vu du dossier qui lui est soumis par l’administration et le contribuable conformément aux conclusions de Gilles Bachelier qui préconisait de retenir un régime de preuve objective[31].
Pour mieux canaliser les effets de la convention et lutter contre les bénéficiaires apparents, la notion de bénéficiaire effectif a été instituée pour une meilleure attribution des revenus passifs. La référence au bénéficiaire effectif figure dans le modèle de convention fiscale proposé par l’OCDE aux articles 10, 11 & 12, relatifs aux dividendes, intérêts et redevances ; elle répond au souci de ne pas réduire l’impôt prélevé dans un Etat lorsqu’un intermédiaire, tel qu’un agent ou un mandataire, s’interpose entre le créancier et le débiteur, à moins que le bénéficiaire effectif ne soit un résident de l’autre Etat contractant. Le comité des affaires fiscales de l’OCDE indique, à ce propos, que le terme « bénéficiaire effectif » n’est pas utilisé dans une acception étroite et technique, mais doit être entendu dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention, notamment pour éviter la double imposition et prévenir l’évasion et la fraude fiscales[32]. La présence d’un établissement stable dans le cadre des relations triangulaires peut générer des difficultés d’interprétation. C’est pourquoi, le conseil d’Etat dans l’affaire[33] « Société Mécatronic » précise : « qu’un établissement stable autre qu’un siège de direction n’est pas résident fiscal et ne peut revendiquer l’application d’une convention fiscale dans ses relations avec une entité autre que le siège de la société qui le détient ».
La notion de bénéficiaire effectif des conventions fiscales a fait l’objet d’une précision par la doctrine administrative fiscale sénégalaise. Suite à une affaire soumise à son appréciation par voie de recours hiérarchique, le Directeur Général des Impôts et des Domaines prétend que la cession gratuite de créance entre une société de droit australien et sa filiale mauricienne n’a été opérée dans le seul but de se décharger de la retenue de 16% prévue à l’article 143[34]. Pour l’autorité administrative, le service d’assiette est fondé à conclure que la société australienne est le bénéficiaire effectif des intérêts servis par la société sénégalaise. En l’absence d’une convention fiscale entre le pays du débiteur et le pays du créancier, la retenue à la source prévue par le droit interne doit faire droit[35].
La détermination de la qualité de résident conventionnel doit être une préoccupation centrale pour les Etats importateurs de capitaux. L’Etat de la source a consenti à un énorme sacrifice en ce qui concerne l’imposition des revenus passifs. Les entreprises multinationales sont de nos jours tentées à vouloir abuser du vaste réseau de conventions fiscales pour réduire substantiellement leur charge fiscale au détriment du budget des Etats. Cet abus communément appelé treaty-shopping profite au géant du numérique sans pour autant qu’une riposte intelligente ne soit apportée face à ce fléau. La régulation des échanges intragroupes permet de freiner les manœuvres frauduleuses du contribuable.
- La prohibition des avantages indus dans les groupes de sociétés
Les transactions appréhendées dans une politique des prix de transfert sont celles qui ont été réellement effectuées entre des sociétés du même groupe, peu importe si le paiement a déjà eu lieu. Elles devront respecter le principe de pleine concurrence, ce qui est plus vite dit que fait. Le principe de pleine concurrence dépend entre autres du type de transaction envisagée et des circonstances économiques[36]. Depuis le modèle de la convention 1977 de l’OCDE, le paragraphe I de l’article 9 qui traite des transactions entre entreprises associées repose sur le principe fondamental selon lequel les transactions entre entreprises associées doivent être effectuées dans les conditions qui prévaudraient entre entreprises indépendantes.
Ce même principe a été adopté par le groupe d’experts des Nations Unies sur les conventions fiscales entre pays développés et pays en voie de développement. Au demeurant, tant les gouvernements que les entreprises multinationales s’accordent très largement à reconnaître qu’il convient de se référer au principe de pleine concurrence pour déterminer le bénéfice imposable dans de telles situations[37]. Au Sénégal, le Docteur El Hadji Dialigué BA indiquait dans sa thèse de doctorat que le principe de pleine concurrence avait une connotation législative et conventionnelle[38].
L’article 17-5 de la loi 2012-31 du 31 décembre 2012 portant CGI fait référence au principe de pleine concurrence à travers ce dispositif : « A défaut d’éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux alinéas précédents, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ». Dans les conventions fiscales signées par le Sénégal, le principe de pleine concurrence est consacré à l’article 9[39] dénommé « entreprises associées » et dans les articles prévoyant l’imposition des revenus passifs à l’image des intérêts et des redevances.
Le transfèrement des capitaux d’un Etat vers un autre ou de la source vers la résidence s’opère grandement avec les intérêts dans le cadre des prêts intragroupes et les redevances. En ce qui concerne les redevance, le législateur Sénégalais a cependant bien pris en compte ces éléments qui caractérisent notre économie. En effet, dans l’exposé des motifs de la loi instituant pour la première fois la retenue BNC, il s’exprime en ces termes : « Dans les pays en voie de développement comme le Sénégal, le transfert de technologie s’opère pratiquement à sens unique et les redevances qui peuvent être versées à ce titre constituent des charges et non des produits pour les entreprises sénégalaises diminuant ainsi l’assiette de l’impôt sur le revenu ». Il poursuit en affirmant que les règles de territorialité contenues dans le CGI et les conventions fiscales ont tendance à affaiblir l’action de l’administration qui ne dispose pas de moyens légaux pour contraindre les contribuables non établis sur le territoire sénégalais à s’acquitter de leurs obligations fiscales. Pour ce faire un nouvel alinéa a donc été ajouté à l’article 37 du Code Général des Impôts. Cinq nouveaux articles : 37 bis, 38 bis, 47 bis, 48 bis et 49 bis ont été créés pour régler l’imposition des non-résidents[40].
La circulaire[41] d’application de la loi susvisée indique que celle-ci a introduit deux nouveautés en matière de fiscalité directe dans le domaine des paiements à l’étranger. D’abord, elle instaure une retenue à la source sur les redevances versées à des personnes résidant à l’étranger. Ensuite, elle opère un renversement de la charge de la preuve au profit de l’administration pour l’application de l’article 23 du Code Général des Impôts dont les dispositions ont été commentées par la note N°4256/DGID/LEG.1 du 14 juin 1983. Toutefois, la retenue à la source[42] n’est exigible au sens de la circulaire, que chez le débiteur disposant d’installation professionnelle permanente au Sénégal qui versent des sommes à un créancier n’ayant aucune installation au Sénégal.
L’admission d’une déduction illimitée des intérêts d’emprunt pose un problème particulier lorsqu’une entreprise, au lieu de s’endetter auprès de tiers, le fait auprès de ses propres associés. Il existe en effet plusieurs raisons qui peuvent conduire à privilégier le financement par la dette plutôt que par le capital. Premièrement, la rémunération du capital au moyen du paiement de dividendes n’est pas déductible du résultat imposable. Une société a donc fiscalement avantage à s’endetter puisque la rémunération du prêteur (intérêt) est en principe déductible. Deuxièmement, les associés eux-mêmes peuvent avoir intérêt à privilégier la solution de l’endettement[43]. Le couple Etat de source-Etat de résidence peut également être à l’origine du choix de financement par endettement et ce pour deux raisons.
Dans le premier cas, si le niveau de l’impôt cédulaire dans l’Etat de résidence de l’actionnaire est plus bas que dans l’Etat de la société de capitaux, on peut aboutir à des excédents d’imputation neutres du point de vue fiscal lors de la réception de dividendes et de l’application de la méthode d’imputation, notamment en cas d’application de la limitation « percountry ». En cas de financement par l’emprunt, la charge fiscale globale est limitée au niveau de l’impôt cédulaire (le moins élevé) dans l’Etat de l’actionnaire. Dans le second cas, si le niveau de l’impôt cédulaire dans l’Etat de résidence de l’actionnaire est plus élevé que dans l’Etat de la société de capitaux, lorsqu’il s’agit d’intérêts, du fait qu’ils sont imposables, on assiste dans l’Etat de résidence de l’actionnaire à un phénomène de rééquilibrage au niveau de l’impôt dans le dernier Etat. Si l’Etat de résidence de l’actionnaire accorde une exemption d’impôt pour les dividendes, le financement propre peut être plus avantageux que le financement par emprunt[44].
L’article 17-1 de la loi de 2012-31 fait mention de la sous-capitalisation comme moyen de transfert indirect de bénéfice. Cependant, le législateur ne spécifie pas les pratiques qui pourraient être synonymes de sous-capitalisation. De l’avis de certains spécialistes, il s’agit d’une forme sophistiquée de transfert de bénéfices par le biais d’intérêt. Le schéma consiste à créer une filiale avec un capital très inférieur à ce qu’il devrait être compte tenu des activités de celle-ci, la société mère finançant l’activité de sa filiale via un prêt à long terme, quasi-permanent et générateur d’intérêts[45]. Même si aucune spécification n’a été notée sur le concept de sous-capitalisation, l’article 9 de la loi 2012-31 réglemente la déductibilité des charges financières résultant des emprunts contractés par le contribuable. En effet, seules sont admises en déduction du résultat imposable dans les SA et les SARL, les intérêts ne dépassant pas le capital social. Pour les autres formes de sociétés, la déductibilité des intérêts est conditionnée au fait que les montants empruntés sont tout au plus égaux au capital social. Les précisions de la doctrine administrative vont dans le sens de la disposition précitée. Dans une affaire soumise à son appréciation, l’autorité administrative a soutenu que les intérêts qui rémunèrent les sommes mises à la disposition de la société par l’associé sont déductibles à la seule condition ci-après :
« Les sommes apportées ne dépassant pas le capital social sont déductibles à condition que ledit capital ait été entièrement libéré »[46].
[1] P. LEVINE, La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale de caractère international en l’absence et en présence de conventions internationales, Paris, LGDJ, 1988, p27
[2] J P DOUVIER & I. ZIVANOVIC, « Echange d’informations fiscales sur demande et automatique : principe et limite de l’assistance administrative », Bulletin Francis lefebvre, n°1, 2018, p5
[3] B GOUTHIERE, « Echange de renseignement et assistance administrative internationale : où en est-on », Bulletin Francis Lefebvre, n°3, 2014, p44
[4] M E ANCEL, P DEUMIER & M. LAAZOUZI, Droit des contrats internationaux, Paris, Dalloz, 2020, p7
[5] D. PHILLIPE, La rédaction des contrats internationaux, Bruylant, 2012, 280 pages
[6] M DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : Aspect juridique et organisationnel, Paris, LGDJ, p333
[7] M. M. PADOVANI, « Actualité de la frontière fiscale », Gestion et Finances Publiques, n°12, 2011, p912
[8] Loi 2012-31 du 31 décembre 2012
[9] El H. D. BA, Procédures Fiscales, L’HARMATTAN, p30
[10] P. RASSAT, « Les paradis fiscaux », in 46ème congrès de l’ordre des experts comptables RFC 1992, n°230, p28 cité par J. NIRMAL THOMAS dans sa thèse de doctorat sur la thématique : Le contrôle fiscal des opérations internationale, p116
[11] J. N. THOMAS, Le contrôle fiscal des opérations internationales, Thèse de doctorat, présentée et soutenue le 9 décembre 2003 sous la direction du Professeur G. GEST, Université de Paris II, p116
[12] A. KALLERGIS, La compétence fiscale, Paris, LGDJ, 2018, p563,
[13] R. KILIC, « L’instrument privilégié de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale :la coopération administrative internationale en matière fiscale », Gestion & Finances Publiques, n°12, 2011,, p930
[14] Département du développement économique et social (ONU), Coopération internationale en matière fiscale, in Rapport du groupe spécial d’experts de la coopération internationale en matière fiscale sur les travaux de sa sixième réunion, New York, 1992, p10 voir également OCDE, Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Paris, Ed OCDE, 2022, p223
[15] Signée le 9 Janvier 1971, entrée en vigueur le 1er janvier 1973 publiée au J.O du 24 avril 1976
[16] OCDE, « Module sur les contrôles fiscaux simultanés », in Manuel de mise en œuvre des dispositions concernant l’échange de renseignement à des fins fiscales, 2006, pp9- 60 pages
[17] A. LAUMONIER, La coopération entre états dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale, Paris, LGDJ, 2019, p121
[18] M. DJOUHRI, L’évolution du contrôle fiscal depuis 1945 : aspect juridiques et organisationnels, op cit, p355
[19] H. A. C. NOTAROBERTO BARBOSA, les échanges internationaux de renseignements fiscaux, Thèse de doctorat, présentée et soutenue en 2017 à l’université de Paris II sous la direction du professeur Jean Claude MARTINEZ, p272
[20] E. D. BA, Procédures fiscales, L’HARMATTAN,2016 p31
[21] A. KELLERGIS, La compétence fiscale, op cit, p563
[22] E. D. BA, Procédures fiscales, op cit, p31
[23] R. KILIC, « L’instrument privilégié de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale :la coopération administrative internationale en matière fiscale », op cit, p930
[24] R.N.J KAMERLING & V. D. VAN DER HEL, « International Exchange of Information and Multilateral Tax Auditing : Towards an Intra-Community Approach ? » in Intertax, Vol 31, Issue 1, 2003, P6 et s cité par Selçuk ALTINDAG p288
[25] S. ALTINDAG, La concurrence fiscale dommageable : la coopération des Etats membres et des autorités communautaires, Paris, L’Harmattan, 2009, p289
[26] E. ROBERT, Elément d’une théorie de la frontière appliquée au droit fiscal, Thèse de doctorat, Université de Paris II, Septembre 2011, p379
[27] S. MADANY SY, « Réflexion sur les dispositions essentielles de la convention fiscale franco-sénégalaise en matière de double imposition se rapportant aux impôts sur le revenu », Mélanges en l’honneur du professeur Paul Marie GAUDEMET, Economica, 1984, p904
[28] G. TIXIER, G. GEST & KEROGUES, Droit fiscal international, Paris, PUF, 2ème éd, 1990, p166
[29] CE 13 octobre 1999 Diebold Courtage SA
[30] CAA Paris 25 juillet 1997
[31] J. NIRMAL THOMAS, Le contrôle fiscal des opérations internationales, Thèse de doctorat, Paris, L’Harmattan, 2004, p33
[32] B. GOUTHIERE, Les impôts dans les affaires internationales, Paris, LGDJ, 2020, p1288
[33] CE 20 Septembre 2017 Sté Mecatronic cité par P. OUDENOT, Fiscalité approfondie des sociétés, Paris, LexisNexis, 2020, p21
[34] Loi 92-40 du 9 juillet 1992 portant Code Général des Impôts
[35] Lettre n°203/DGID/DLEC/BC du 08 mars 2013
[36] T. VANWELKENHUYZEN, Les prix de transfert, op cit, p213
[37] OCDE, « Prix de transfert et entreprises multinationales », Rapport du Comité des Affaires Fiscales de l’OCDE, 1979, p9
[38] E. D. BA, , Le droit fiscal à l’épreuve de la mondialisation : la réglementation des prix de transfert au Sénégal, Thèse de doctorat, op cit, p147
[39] « Lorsque… les deux entreprises associées sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisées par l’une des entreprises, mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ».
[40] Loi n°83-47 du 5 juillet 1983 complétant le Code Général des impôts, relative à l’imposition des redevances versées à des personnes résidant à l’étranger JORS N°4961 du 13 Août 1983.
[41] Circulaire d’application n°08/01/DGID/LEG. 1 du 10 Décembre 1983
[42] Il est précisé que la retenue à la source doit être faite au moment où le paiement est effectué et quelque soit la forme de celui-ci (versement en numéraire, inscription au crédit d’un compte, virement de Banque, paiement en nature etc…
[43] D. GUTMANN, Droit fiscal des affaires, Paris,LGDJ, 2019, p320
[44] D. DETLEV & J. PILTZ, « Aspects internationaux de la sous-capitalisation », Cahier de droit fiscal international, Vol XXXLb, 1996, p154
[45] T. LAMORLETTE & P. RASSAT, Stratégie fiscale internationale, Paris, Maxima, 1997, p39
[46] Lettre n°422/MEFP/DGID/DLEC/BLEG du 12 mai 2015 ; voir aussi Lettre n°178/DGID/DLEC/BC du 3 Avril 2012