Le régime fiscal de l’investissement au Sénégal

Sommaire

Résumé : L’impératif fiscal occupe une place de choix dans la décision d’investissement. Conscient de cela, les Etats n’ont jamais stoppé l’entreprise d’octroi de régime fiscal de faveur aux entreprises qui ont pris la décision de s’installer en vue de promouvoir l’industrialisation. Le régime fiscal mis en œuvre à cet effet passe par l’érection de règles spécifiques mais également par la signature de traités bilatéraux facilitant les échanges commerciaux. Certains domaines notamment le secteur extractif jouit d’un ensemble de mesures fiscales propres à leurs activités.

INTRODUCTION

La dislocation de l’empire colonial notamment de son unité politique avec le processus de la délocalisation, va poser le problème de la sécurité des investissements privés en Afrique francophone, protection d’autant plus nécessaire que les pays exportateurs de capitaux et ceux importateurs sont obligés de coopérer. Pour les pays exportateurs de capitaux, il y’a la une nécessité stratégique, économique et commerciale. Ils sont obligés de s’approvisionner en produits énergétiques et en matière première. De même, ils sont contraints d’exporter leur excédent de capitaux à investir vers les pays du tiers monde où la rentabilité est souvent plus importante. Rappelons que vers les années 60, l’ensemble des activités économiques était contrôlé par les entreprises étrangères. Ainsi, la mise en place d’avantages fiscaux était un gage pour la poursuite de leurs activités commerciales sur le sol africain.

Traditionnellement défini comme un instrument permettant à l’Etat d’avoir les ressources nécessaires pour financer les politiques publiques, l’impôt s’est doté d’une fonction de régulation de l’économie. L’impôt serait donc bien aussi un moyen, l’un des moyens, utilisé par la puissance publique pour orienter, conduire, exécuter sa politique au premier chef dans les domaines économique et social. Tel est « l’interventionnisme fiscal » dont on qualifiera assez curieusement, les modalités d’utilisation de l’impôt dans un but « extra-fiscal ».

Il convient toutefois de rappeler dans ce cadre qu’aucun déterminisme n’oblige les Etats à diminuer la taxation du capital, à exonérer les profits des multinationales, à préserver les plus riches et à procéder à des coupes sévères dans les dépenses sociales. Les études empiriques internationales, comme l’a écrit Marc LEROY, montrent que la résilience de l’Etat fiscal social face à la globalisation est une réalité, même si le démantèlement du Welfare state européen devient une menace tangible. Le retrait de l’Etat fiscal est surtout visible pour les taux officiels de l’IS. 

Les régimes de l’incitation et de l’exonération ont pour objectif de stimuler l’investissement et plus généralement l’activité économique. A côté de dispositions incluses dans le régime de droit commun, de nombreux régimes particuliers ont vu le jour. Généralement, les régimes d’incitation comprennent des mesures visant à augmenter la rentabilité du capital des entreprises : exonérations/réductions de droits et taxes indirects et d’impôts directs, règles d’amortissement dérogatoires, accès et coûts de financement…  

Comme évoqué tantôt, le régime fiscal renvoie ici à l’ensemble du dispositif fiscal applicable à l’activité d’investissement. L’investissement est une dépense immédiate dont l’objectif est d’obtenir un effet positif quantifiable à long terme. Dans le cadre de cette étude, il serait plus adéquat de ranger cette notion dans le vocable des IDE. Les Investissements Directs Etrangers également appelés Investissements Directs Internationaux (IDI) par l’OCDE sont des mouvements internationaux de capitaux réalisés en vue de créer, développer ou maintenir une filiale à l’étranger et/ou d’exercer le contrôle (ou une influence significative) sur la gestion d’une entreprise étrangère. Ceux-ci constituent le nœud gordien de la multinationalisation des entreprises. Naturellement, la question que tout investisseur serait tenté de se poser est la suivante : quelles sont les règles applicables à une activité nouvellement créée ?

Face à cette interrogation, le conseiller fiscal averti serait en mesure de dire qu’il existe une formule spéciale ou un dispositif singulier applicable. Du côté de l’administration, l’on pourrait invoquer que la mise en œuvre de ce dispositif a conduit à des abandons de recettes communément appelés dépenses fiscales. Les dépenses fiscales sont des dispositions spéciales dérogeant au droit commun qui occasionnent des pertes de recettes pour l’Etat, dans le but de favoriser un comportement économique particulier de la part des contribuables ou de subventionner certains groupes sociaux. Elles entrainent ainsi, pour les contribuables, un allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui aurait résulté de l’application de la norme, c’est-à-dire des principes généraux de la fiscalité sénégalaise. Il sied toutefois de préciser que toutes les pertes de recettes fiscales ne sont pas considérées comme des dépenses fiscales. Considérer toutes pertes de recettes conduirait à une surestimation des dépenses fiscales induisant ainsi une illusion desdites dépenses.

Le coût des dépenses fiscales sur le budget de l’Etat est énorme au point qu’une nécessaire rationalisation permettra d’endiguer toute tentative de thésaurisation des ressources fiscales. C’est dans ce cadre que la directive n°01/09 portant code de transparence exige que la nature et le coût budgétaire des exonérations et dérogations fiscales ainsi que les prêts, avances et garanties fasse l’objet d’une présentation détaillée à l’occasion de l’adoption du budget annuel. En France, la LOLF de 2001 prévoit une évaluation des mesures dérogatoires pour chaque programme budgétaire. Au Sénégal, les chiffres sont ahurissants car la tendance est haussière de 2008 jusqu’en 2019 date du dernier rapport. Les chiffres vont de 378 à 750 milliards.

Cette situation a conduit certains auteurs à manifester leurs hostilités vis-à-vis des dépenses fiscales. Pour NGAOSYVATHN : « la démagogie des libéralités fiscales profite en dernier ressort au fisc des nations exportatrices de capitaux. Les faveurs fiscales accordées par un pays constituent purement et simplement un cadeau accordé au fisc d’un autre pays. A titre d’illustration, nous pouvons prendre l’exemple des entreprises dont le siège social se trouve dans un pays appliquant le principe de la mondialité de l’impôt à l’image des Etats Unis. Dans ce cas, les revenus exonérés dans le pays importateur de capitaux profitent au fisc du pays exportateur de capitaux ». De son côté Madame la Professeure N’Dri Theoua PELAGIE pense que « les dépenses fiscales doivent demeurer des techniques exceptionnelles utilisées quand le besoin est réellement indispensable et incontournable ». Si l’on se réfère à l’objectif de base, on pourrait emprunter la même démarche que les auteurs précédemment cités. L’objectif principal qui découlait de la mise en place de ces mesures était la promotion de l’industrialisation. Au moment où ces lignes sont écrites, l’industrialisation de l’Afrique est toujours quasi inexistante. Rares ont été ceux qui ont pris leur plume pour exalter le mérite des incitations fiscales. Nous serions tentés en notre qualité de chercheur de décliner la démarche du législateur dans la loi 2012-31. Rappelons que le bénéfice de ces mesures suppose que le contribuable injecte dans l’économie des montants colossaux. Ces actes génèrent naturellement une valeur ajoutée et favorise la croissance. L’étude s’articulera autour de deux grandes parties : le régime fiscal général applicable à l’investissement (I) et le régime spécifique applicable au secteur extractif (II)

I- Le régime fiscal général

A des fins d’incitation économique et d’équité sociale, le législateur institue des allègements de la charge fiscale de certaines catégories de contribuables ou d’opérations. Ils représentent des charges pour le budget, au même titre que les dépenses directes de l’Etat. Pour promouvoir l’investissement, les Etats accordent des libéralités fiscales pour l’implantation mais également dans le cadre du fonctionnement de l’entreprise. Il s’agira d’évoquer le dispositif prévu par la loi 2012-31 du 31 décembre 2012 portant CGI (A) et le droit conventionnel (B)

A- Le dispositif normatif interne

Préalablement à l’adoption de la loi 2012-31, le régime dérogatoire était de nature éparse. Entre autres, il y avait le code des investissements, la loi sur l’Entreprise Franche d’Exportation et la loi sur la Zone Economique Spéciale Intégrée. Dans une dynamique de réunification dans un seul et unique texte, une bonne partie des dispositions a été enchâssée dans la loi portant nouveau Code Général des impôts. La loi 2012-31 du 31 décembre 2012 a dépouillé les anciens textes d’une bonne partie de leur disposition sans les abroger totalement. Récemment, le projet de loi de finances initiale pour l’année 2025 a prévu une prorogation de l’application de la loi 95-34 du 29 décembre 1995 instituant le statut de l’Entreprise Franche d’Exportation jusqu’au 31 décembre 2025 pour appuyer, sur une durée de trois ans supplémentaires, les bénéficiaires de ce régime de promotion de l’activité de production tournée vers l’exportation.

Compte tenu de la complexité de ce dispositif et de la pléthore de réformes instituées, le législateur a conféré au contribuable une sécurité juridique à travers l’article 722. Ledit article dispose que : « les personnes admises, soit au bénéfice du Code des investissements, soit au bénéfice des lois relatives aux entreprises franches d’exportation ou aux entreprises agréées à la zone franche industrielle de Dakar ou des lois portant code minier ou pétrolier, restent soumises, pour la durée et la validité de leur agrément, au régime fiscal qui leur a été consenti selon les textes en vigueur, à la date dudit agrément ».

L’article 249 du CGI prévoit que : « les entreprises qui réalisent des investissements d’un montant d’au moins 100.000.000 F.CFA, peuvent bénéficier, dans les conditions fixées aux articles 250 à 252, d’une réduction du montant de l’impôt dont elles sont redevables ». L’agrément est le titre qui permet au contribuable de pouvoir jouir d’un crédit d’impôt dont la clé de répartition trouve son siège à l’article 252 du CGI. Au chapitre des dépenses éligibles, la doctrine administrative fiscale a apporté des précisions. En réalité, les dépenses concernées sont ceux qui ont été réalisées durant la période comprise entre la date de l’agrément au code des investissements pour la phase d’investissements et celle de l’agrément en phase d’exploitation. Le crédit d’impôt est un mécanisme qui permet de déduire les sommes investies. Le montant des déductions autorisées est fixé à 40% du montant des investissements. Il est plafonné à 50% du bénéfice imposable. Il pourrait atteindre 70% si l’entreprise s’est implantée dans une région autre que Dakar. Dans tous les cas, le droit à déduction est étalé sur une période de cinq exercices au maximum. Celui-ci pourrait passer à dix exercices si le montant investi est de 250 milliards.

En sus de cet allègement, le contribuable bénéficie d’une exonération de droit de douane et d’une suspension de TVA. La durée de la suspension est égale à la durée de réalisation des investissements. Dans une affaire soumise à son appréciation, l’administration avait pourtant précisé que la suspension de TVA pour les entreprises bénéficiaires d’agrément au code des investissements dure 3 ans. On pourrait appuyer la thèse d’une absence de perte de recettes mais le montant de la TVA suspendue n’est pas négligeable. Au titre de l’année 2013, celui-ci s’élevait à 2.487.931.891 F.CFA. Rappelons que la TVA suspendue est due le 15 du mois suivant l’extinction de la période dérogatoire.

Le statut de l’entreprise orienté vers l’exportation a été modelé également. Cela a toujours été une préoccupation pour les pouvoirs publics dans le but d’accroitre davantage la part de leur industrie dans le commerce international. Après plusieurs réformes amorcées, ce régime est passé respectivement de : Zones Franches Industrielles à Points Francs pour aboutir à la Réduction d’impôt pour exportation. Le législateur de 2012 a recadré les avantages dédiés aux Entreprises Franches d’Exportation (EFE). Sauf erreur ou omission de notre part, ceux-ci se limitent à une déduction de 50% du bénéfice imposable. Rappelons toutefois que la majeure partie des EFE actuellement continuent de jouir des dispositions de la loi de 1995. Cet état de fait est cautionné par l’article 722 du CGI sus-évoqué mais également par les nouvelles dispositions du projet de loi de finances pour l’année 2022. Ledit texte prolonge pour une durée de trois années supplémentaires le bénéfice du régime de la loi de 1995. L’administration dans son rôle d’interprétation de la loi a eu à faire quelques appréciations sur le régime de la réduction d’impôt pour exportation. Suite à une interpellation du contribuable relative à l’exonération ou non des plus-values de cession d’actions d’une EFE, l’administration a soutenu qu’il ne ressort ni des articles 8, 19 et 259 d’une exonération. Par conséquent, les plus-values de cession sont imposables entre les mains du cédant. 

Le pouvoir fiscal n’a pas attendu très longtemps pour rendre éparses les dispositions fiscales. Le législateur a voulu restaurer à travers deux grandes réformes, le vocable zone d’entreprise dans notre attelage juridico-fiscal. D’abord, à travers la loi 2015-13 du 3 janvier 2015, le législateur a attribué un statut spécial aux entreprises touristiques implantées dans la région de Casamance. Pour légitimer l’adoption d’un tel dispositif, le législateur avait avancé la situation difficile que traversait la Casamance depuis plus de trois décennies mais également toutes les autres contraintes qui affectaient le secteur du tourisme. Ce dispositif exonère les entreprises touristiques de tous les impôts directs des collectivités locales, en l’occurrence la contribution des patentes remplacée par la Contribution Economique Locale, la Contribution Foncière des Propriétés Bâties, la Contribution Foncière des Propriétés non Bâties, la Contribution des Licences et l’Impôt du Minimum Fiscal. Sauf erreur ou omission de notre part, les différentes mesures administratives d’application n’ont pas été prises. Autrement dit, les contribuables évoluant dans le secteur ne peuvent pas encore se prévaloir des avantages de la loi 2015-13.

Ensuite, le référentiel de planification économique qu’est le Plan Sénégal Emergent a jugé nécessaire la mise en place d’un cadre favorable à l’émergence. C’est dans ce sillage que le législateur a adopté la loi n° 2017-06 du 06 janvier 2017 portant sur les Zones Economiques Spéciales (ZES). Retenons que la loi de 2017 abroge celle relative à la ZESI et confie à la société APIX SA l’administration de cette zone. Au courant de l’année d’adoption de la loi, le Gouvernement de la République du Sénégal a mis en place dans les communes de Diass, Diamniadio et Sandiara des Zones Economiques Spéciales.  Le bénéfice des avantages contenus dans ladite loi est subordonné à l’obtention d’un agrément délivré par l’APIX. La jouissance desdits avantages est prévue pour une période de 25 ans renouvelable. La souplesse recherchée par le législateur à travers cette réforme s’identifie dans les dispositions de l’article 4 de la loi. Cet article permet à tout investisseur titulaire d’un titre foncier de formuler une demande tendant à la proclamation en ZES de son assiette foncière. Les entreprises admises à ce régime sont exonérées de droit de douanes à l’exception du prélèvement communautaire sur les marchandises, produits, matières premières, équipements, autres biens et services ainsi que du droit d’exportation en franchise en dehors du territoire national des mêmes biens. Le taux de l’IS est fixé à 15%. L’entreprise est également soumise à un prélèvement de 3% si elle ne réalise qu’une partie de son activité sur le territoire. Les entreprises exonérées sont dispensées du paiement de certains impôts perçus au profit de l’Etat ou des collectivités locales ci-après :

Impôt sur le revenu des valeurs mobilières prélevé par l’entreprise sur les dividendes distribués ;

Contribution forfaitaire à la charge de l’employeur ou tout autre impôt ayant pour assiette les salaires versés par les entreprises et supportées par elles ;

Droits d’enregistrement et de timbre dus sur les actes de constitution et de modification des statuts des sociétés, les locations d’immeubles dans la ZES ainsi que sur les actes relatifs à l’achat, la vente ou le nantissement d’actifs ;

Impôt minimum forfaitaire sur les sociétés ;

Contributions foncières sur les terrains et immeubles possédés dans la zone économique spéciale ;

Contribution des patentes (remplacée par la CEL depuis la loi 2018-10 du 30 mars 2018) ;

Taxe spéciale sur les véhicules particuliers des personnes morales.

Par ailleurs, le droit conventionnel procède pour sa part également à des avantages fiscaux.

B- Le dispositif normatif conventionnel

Le droit conventionnel regroupe l’ensemble des conventions fiscales signées par l’Etat du Sénégal. Les conventions restent des traités bilatéraux au regards des principes de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Le droit fiscal international régit deux types de revenus : les revenus actifs et les revenus passifs. Les revenus actifs sont en effet ceux qui résultent de la mise en œuvre « active » de facteurs de production matériels et/ou humains (usines, ateliers, employés, agents commerciaux etc.) alors que les revenus passifs sont ceux qui viennent rémunérer l’activité des investisseurs ayant placé leurs capitaux pour en attendre « passivement » un retour (une souscription au capital d’une entreprise donne droit à des intérêts).

Les revenus actifs interpellent au premier chef le concept d’établissement stable. Tous les modèles de convention fiscale ont défini l’établissement stable de la même manière à l’exception de quelques particularités. L’article 5 desdits modèles prévoit que : l’expression « établissement stable » désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.

L’expression désigne notamment : un siège de direction, une succursale, un bureau, une usine, un atelier, une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction des ressources naturelles.

Un chantier de construction constitue un établissement stable que si sa durée dépasse …

Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, on considère qu’il n’y a d’établissement stable si :

a- il est fait usage d’installations aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l’entreprise ;

b- des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fin de stockage, d’exposition ou de livraison ;

c- des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise ;

d- une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’acheter des marchandises ou de réunir des informations, pour l’entreprise ;

e- une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fin d’exercer, pour l’entreprise, toute autre activité

f- une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’exercice cumulés d’activités mentionnées aux alinéas a) à e).

Le même article précise que la personne qui négocie ou signe des contrats pour le compte de l’entité qu’elle représente tout en restant exclusivement sous sa dépendance est considérée comme un établissement stable également. Toutefois, le commissionnaire qui garde son indépendance ne rentre pas dans les critères de l’établissement stable. Il sied de préciser que l’entreprise qui évolue dans le secteur du BTP et qui gagne un marché au Sénégal n’est pas tenu illico presto à la création d’une société commerciale constitutive d’établissement stable. En fonction des prescriptions conventionnelles, c’est la durée du chantier qui détermine si oui ou non il y’a la présence d’un établissement stable.

L’établissement stable est un avantage pour l’investisseur. Parce que celui-ci est au regard de la fiscalité internationale comme une partie de l’entité à laquelle elle est rattachée. Il peut certes avoir une autonomie de gestion mais au regard du droit OHADA, on l’assimile à une succursale. Ces deux formes sont dénuées de personnalité morale. Ainsi, les revenus de l’établissement stable sont une composante des revenus du siège. L’Etat d’implantation perçoit un impôt direct résultant du bénéfice réalisé mais il est quasi-impossible de percevoir un impôt de distribution. Autrement dit, la présence d’un établissement stable annihile toute possibilité de perception d’Impôt sur les Revenus de Valeurs Mobilières. Il peut arriver dans certains Etats qu’il y ait ce que l’on appelle la « Branch-tax ». Celle-ci correspond à une retenue à la source instituée par la législation interne vis-à-vis de l’établissement stable. Cette pratique a cours aux Etats-Unis. Pour Isabelle RIU, ce procédé est à bannir puisqu’il favorise une triple imposition. Si l’entreprise opte sur une installation via un bureau de représentation ou de liaison, elle ne sera pas considérée comme un établissement stable si elle n’effectue que des activités préparatoires et auxiliaires. Si l’activité du bureau de représentation nécessite une transformation, une demande de rectification du RCCM doit être introduite dans les trente jours suivant un tel changement de situation. Les conventions fiscales peuvent également influer sur la détermination du résultat imposable. Les managements fees ou frais généraux de siège que la société mère fait supporter partiellement à ses filiales présentent une particularité selon qu’il s’agit du droit interne ou du droit conventionnel. L’article 8-5 estime que ces charges ne doivent en aucun moment excéder 20% du bénéfice comptable. Les conventions fiscales quant à elles font référence au prorata du chiffre d’affaires réalisé dans les différents établissements stables.

Aussi, l’usage de la succursale peut à bien des égards être synonyme de discussion. La réforme de 2014 de l’Acte Uniforme sur les Société Commerciales et GIE oblige une transformation de la succursale en filiale au bout de deux ans ou son rattachement à une société implantée dans l’espace OHADA. Ainsi, le choix de la succursale peut être déconseillé pour un tout premier investissement.

Les revenus passifs assimilables à des revenus d’investissement se retrouvent dans les catégories ci-après : dividendes, intérêts, redevances et loyers. Les conventions fiscales ont pour nature de définir leur régime d’imposition. Généralement, les conventions fiscales prévoient un partage du pouvoir d’imposition entre l’Etat de source (lieu d’implantation du débiteur des revenus) et l’Etat de résidence (Etat de situation de la personne bénéficiaire des versements). Cette méthode est dénommée imputation. De façon exceptionnelle, un des Etats peut volontaire renoncer à imposer les revenus passifs. Il s’agit de la méthode de l’exonération. Cette pratique avait cours dans la convention fiscale Sénégal Ile-Maurice. Pour rappel, cette convention fiscale a été dénoncée par l’Etat du Sénégal en juin 2019.

Dans le cadre des revenus passifs, le pouvoir d’imposition des Etats subit deux types d’atteinte : d’abord, le taux d’imposition est fixé par la convention ensuite, la qualification juridique découle de la définition donnée par la convention fiscale. Le cas des redevances est édifiant sur la question. Si le droit commun généralise en faisant référence à toutes les prestations effectuées par les prestataires n’ayant pas une installation professionnelle au Sénégal, les conventions fiscales donnent un contenu spécifique à la notion de redevance. Dans une affaire soumise à son appréciation où il s’agissait de versements de frais de publicité fait à un prestataire installé au Gabon, l’administration avait d’abord tenu à préciser que les échanges entre les deux pays étaient régis par la convention OCAM et, ensuite, que la définition donnée par ladite convention sur la notion de redevance n’intègre pas les frais de publicité. Dans une autre affaire, l’administration a précisé que les prestations de réalisation d’études d’impact environnemental ou d’analyses de prélèvements de substances minérales effectuées par un laboratoire ne rentrent pas dans la catégorie des redevances.

II- Le régime spécifique applicable au Secteur extractif

Le sol et le sous-sol du Sénégal sont dotés de diverses substances minérales réparties sur les différentes régions du pays. L’investissement dans le secteur extractif passe d’abord par les recherches (A) de ressources minières qui peuvent s’avérer fructueuses ou infructueuses. Dès lors, la découverte de ressources est une condition sine qua non du démarrage de l’activité d’exploitation (B).

A- La phase de recherche et de construction

L’exploration désigne l’ensemble des travaux de prospection, de reconnaissance et de localisation des gisements miniers et énergétiques on shore ou offshore. Le législateur définit la prospection à l’article 9 en ces termes : « La prospection ou reconnaissance géologique s’entend de toute investigation systématique et itinérante de surface ou de sub-surface destinée à reconnaître les différentes formations géologiques, la structure du sol et à mettre en évidence des indices ou des concentrations de substances minérales ».

En droit minier, le règlement de 2003 édicté par l’UEMOA en son titre 3 précise les avantages fiscaux et douaniers que les Etats membres peuvent accorder. Le dispositif est relativement classique : les importations peuvent être, soit exonérées de droits de douane (à l’exception de certains prélèvements communautaires), soit admises au régime suspensif durant la phase de recherche et de construction. En ce qui concerne les impôts, le titulaire du titre minier est totalement exonéré, en phase de recherche et de construction de la TVA, de l’impôt sur les bénéfices, de la taxe patronale sur les traitements et salaires et de la patente. L’article 78 du nouveau code minier de 2016 reprend le dispositif d’exonération totale durant la phase de recherche.

En sus du dispositif normatif en vigueur, les conventions minières relatent cette période clémence fiscale. L’article 8 de la convention minière signée entre l’Etat du Sénégal et la Société Minéral Déposits Limited Sénégal SARL dispose : « le titulaire du permis de recherche de substances minérales bénéficie dans le cadre de ses opérations de recherche pendant toute la durée de sa validité et de ses renouvellements éventuels d’un régime d’exonération totale d’impôts, et de taxes de toutes natures ».

Pour le personnel qu’elle met à la disposition d’un titulaire de titre minier, une société d’intérim avait saisi l’administration fiscale à propos de l’exonération de la CFCE dont se prévalait son client. Après avoir rappelé le dispositif de l’article 263 alinéa 1er, l’administration a soutenu que le paiement de la CFCE incombe à la société d’intérim par le seul fait que les rémunérations sont payées par cette dernière. Ainsi, ce paiement ne doit pas être apprécié comme un élément de refacturation mais comme une charge pour la société intérimaire. Par conséquent, l’exonération sollicitée par le titulaire du titre minier ne saurait être applicable car la relation qui lie les deux sociétés ne peut pas être appréciée à l’image de celle de l’employeur et du salarié telle que stipulée par l’article L2 du Code du travail. Par ailleurs, l’article 264-6 issu de la 1ère LFR de 2019 indique que la CFCE est exonérée durant toute la phase de recherche.

L’article 79 de la loi de 2016 prévoit un régime de l’admission temporaire pour tous les biens et équipements servant aux opérations de recherche. Ce régime s’étend également aux personnels étrangers pour l’importation de leurs objets et effets personnels. Le régime de l’admission temporaire fait l’objet d’une spécification par l’article 219 du code des douanes. L’article 2 de l’arrêté d’application n°013717/MEFP/DGD du 14 juillet 2015 fixe la liste des biens admis au régime de l’admission temporaire. Ce régime doit être strictement contrôlé pour ne pas aboutir à un abus de la part des bénéficiaires. Le fait d’écouler plus tard sur le marché local les biens admis sous le régime de l’admission temporaire engendre des pertes de recettes importantes pour l’Etat. Par ailleurs, la DGID dans le cadre d’une demande de précision a eu à rappeler que le titulaire d’un titre minier est exonéré de TVA durant toute la phase de recherche.

La recherche pétrolière s’inscrit également dans la même dynamique. Rappelons que le dispositif a été amorcé avec une loi de 1998 qui a connu une mutation avec l’adoption de la loi de 2019. Cette dernière en ces article 49 et 50 prévoit des allègements durant la période de recherche. Pour Fary NDAO : « la découverte de gisement à caractère commercial demeure très hypothétique malgré le dispositif de très haut niveau utilisé par les compagnies ». Rappelons que le Sénégal et ses compagnies pétrolières partenaires ont très souvent, pour ne pas dire toujours, connu des échecs en phase d’exploration. En effet, de 1952 à 2014, véritable « annus mirabilis » de l’exploration au Sénégal, près de 170 forages, ont été réalisés dans le bassin sédimentaire national, en onshore ou en offshore. Seule une dizaine a révélé des indices d’hydrocarbure ou des découvertes. Cette situation légitime dans une certaine mesure l’ensemble des avantages fiscaux accordés. Le titulaire du permis de recherche reste cependant dans l’obligation de satisfaire au paiement de la redevance superficiaire. Préalablement à cela, le titulaire du permis de recherche doit acquérir des données sismiques auprès de la Société PETROSEN pour l’orientation de ses recherches.

Le législateur a été directement interpellé sur la vente des titres de recherche effectuée par la société « PETROTIM LIMITED » et de l’importance de la plus-value réalisée. En réplique à cela, le législateur a par une loi de finances rectificative précisé que l’impôt sur les sociétés devrait être maintenant perçu sur les plus-values résultant de la vente de droits sociaux réalisée à l’étranger se rapportant directement et indirectement à des titres miniers et d’hydrocarbures au Sénégal. Après la découverte, le titulaire du permis de recherche doit nécessairement obtenir une concession d’exploitation.

B- La phase d’exploitation

Si la phase de recherche correspond à une période de grâce, la phase d’exploitation suscite l’application du régime fiscal de droit commun. Ce changement de paradigme est justifié par une période de réalisation de profit. Le code pétrolier sénégalais fait cependant exception dans la dissociation des deux phases (recherche-exploitation). Le Contrat de Recherche et de Partage de Production est un outil qui permet d’enchâsser dans un seul et unique document les deux régimes que sont : la recherche et l’exploitation. L’article 20 de la loi n°2019-03 du 1er février 2019 dispose que : « le contrat de partage de production, attaché à l’autorisation d’exploration, fixe les droits et obligations respectifs des différentes parties, pendant la durée des phases d’exploration et éventuellement celles d’exploitation qui y sont rattachées ». A titre d’exemple nous pouvons citer : « Le contrat de recherche et de partage de production d’hydrocarbures Rufisque offshore profond entre l’Etat du Sénégal et la société «Total E&P Sénégal », la Société des Pétroles du Sénégal en abrégé « PETROSEN » stipule en son article 2 : « le présent contrat est un contrat de recherche et de partage de production d’hydrocarbures aux termes duquel l’Etat confie au contractant des droits de recherche et, en cas de découverte d’un gisement commercial, des droits d’exploitation des Hydrocarbures dans la zone contractuelle ».

L’octroi d’un bloc pétrolier doit faire l’objet d’une approbation de la part du chef de l’Etat. Le titre minier d’hydrocarbure doit satisfaire à la formalité d’enregistrement dans un délai d’un mois à compter de son approbation. Ledit titre est enregistré au droit proportionnel de 5% conformément aux dispositions de l’article 472-2 du CGI. Au cours de la phase d’exploitation, la compagnie pétrolière est redevable d’une redevance sur la valeur des hydrocarbures, de l’impôt sur les Sociétés, conformément aux dispositions de la loi 2012-31 du 31 décembre 2012 portant Code Général des Impôts, et du paiement du loyer superficiaire. Une singularité s’attache à la tenue de la comptabilité des entreprises pétrolières. En réalité, elles doivent tenir une comptabilité séparée par opérations pétrolières qui permet d’établir un compte de pertes et de profits et un bilan faisant ressortir tant les résultats desdites opérations que les éléments d’actifs et de passifs qui y sont affectés ou s’y rattachant directement. Pour une période de trois ans à compter de la date de la première exploitation, l’entreprise est exonérée de la CFPB et de la CFCE. Une entreprise qui exploite le pétrole en Offshore est dispensée du paiement de la CEL/VL et si un accord est signé avec un autre Etat, la CEL/VA est remplacée par une autre contribution de 0,02%.

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Auteur

Mohamed Nagib DIOP

Titulaire d’un Diplôme de 3e cycle en Fiscalité

Enseignant-chercheur

Conseil fiscal

nagibdiop88@gmail.com

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